8 Juillet 2012.  La Malédiction européenne...

En ce jour où, à Reims, on célébrait le 50ieme anniversaire du Traité de l'Elysée et la réconciliation franco-allemande, aucun Editocrate... aucun Nouveau chien de garde... ne s'avisera de parler de Malédiction européenne... qui est pourtant manifeste, depuis plus de 20 ans !

Pour illustrer un propos, qui peut paraître excessif, je partirai du... Manifeste Pour que l'argent serve au lieu d'asservir ! publié par le Cercle des Économistes Citoyens. Voir ici. Ayant contribué à la rédaction de ce texte, j'en suis bien entendu solidaire.

Cependant, à la réflexion, je songe à 2 améliorations possibles, qui concernent toutes 2 la phrase suivante:
"la Banque Centrale Européenne (BCE) doit pouvoir être contrainte à une émission monétaire centrale, sans échéance et sans intérêts, directement au bénéfice de la collectivité et non à celui des seules banques".

1) on peut se demander si cette proposition est adaptée à l'objectif de convaincre une large part de nos concitoyens, alors que presque tous ignorent le mécanisme de création monétaire privée par le crédit, et a fortiori... le mécanisme de création monétaire publique par la Banque Centrale ?

Ils ignorent aussi le rapport entre monnaie de crédit (privée), et base monétaire (en monnaie Banque centrale, notamment les pièces et les billets...), qui se situe au coeur de notre système monétaire à réserves fractionnaires, lui même hérité de l'époque où la rareté monétaire trouvait sa source dans le lien entre monnaies et métaux précieux. (Lien tranché par R. Nixon, le 15 août 1971).

Dans ce contexte d'information partielle ou erronée, la formule sans échéance et sans intérêts est de nature à inquiéter les épargnants, qui peuvent à juste titre considérer:

- qu'il n'est pas correct de ne pas rembourser ses dettes, (notamment pour des prêts entre particuliers),
- que l'épargnant qui se prive, pour une durée plus ou moins longue, du fruit de son travail, (en le prêtant, directement ou indirectement, à des entrepreneurs), mérite une juste rémunération... (Si l'on proposait de mettre à zéro le rendement du Livret A, lequel d'entre nous n'éprouverait pas un sentiment de spoliation ?)

Bien entendu, les prêts de la Banque Centrale à l'État, (aujourd'hui interdits par l'UE de Lisbonne), n'ont rien à voir avec ces exigences concernant des prêts d'épargne préalable consentis par des "agents non bancaires", c à d les ménages et les entreprises autres que les banques, (qui bénéficient, elles, du privilège des réserves fractionnaires: elles peuvent tirer profit de ressources qu'elles ne possèdent pas).

En effet, la Banque Centrale est la propriété de l'État, (en France, depuis 1945), et l'État... c'est NOUS !

Nos concitoyens n'ont pas tous conscience que l'existence d'une collectivité nationale partageant la même monnaie, (ou d'une collectivité européenne... à venir !) rend possible une méthode de financement des investissements publics qui heurte le sens commun:

"Nous pouvons - dans certaines limites - nous prêter à nous mêmes !"

Il est donc légitime d'écrire: "la Banque Centrale Européenne (BCE) doit pouvoir être contrainte à une émission monétaire centrale, sans échéance et sans intérêts, directement au bénéfice de la collectivité et non à celui des seules banques."

Hélas, cette proposition ne tient pas assez compte, il me semble, de l'Histoire du vieux continent ! Parmi les nations qui composent l'Union Européenne, 2 des plus importantes, (mais ce ne sont pas les seules...), ont vécu cruellement un épisode d'hyper-inflation lié à l'usage abusif de la Planche à billets, selon l'expression péjorative qu'affectionnent les financiers cupides, ou les journalistes ignorants et serviles ! (Sans oublier les responsables politiques, au plus haut niveau, tels Juppé et Hollande, entre autres).

Il n'est pas question ici de nier qu'une création monétaire, (publique ou privée), débordant les capacités de production disponibles, peut entraîner une explosion des importations, et/ou une dévaluation, en tout cas une perte importante pour les épargnants:

- ce fut le cas, chez nous en diverses occasions, dont la plus connue s'est produite, il y a un peu plus de 200 ans, lorsque les anglais imprimèrent en masse de faux assignats (qu'ils livraient aux Chouans, pour les aider a combattre le gouvernement républicain),

- ce fut aussi le cas outre-Rhin, au milieu des années 20, (dans un pays écrasé par les dommages de guerre: cf. l'Allemagne paiera...), avec pour conséquence indirecte, (après ~8 ans d'austérité...), l'arrivée du fascisme.

Pourtant, en règle générale, la croissance de la masse monétaire doit être un peu en avance de phase sur celle de l'activité économique, (l'octroi d'un prêt bancaire conditionne la réalisation du projet qui le sollicite), tandis que l'épargne disponible ne peut contribuer à l'augmentation de la masse monétaire.
En outre, on voit mal pourquoi la création monétaire publique par la BC(E) serait toujours inflationniste, tandis que... la création monétaire par les banques privées ne le serait jamais ?

La crainte d'effets inflationnistes liés à de la création monétaire publique ne peut en aucun cas justifier le surcoût pour les contribuables de la zone Euro, (entre les prêts à 1% de la BCE, et les prêts à 3 ou 4 % des marchés financiers), que l'on peut évaluer à ~210 milliards /an, une somme colossale représentant plus de 2 fois le budget de l'UE ! (et un peu moins de 3 % du PIB de la zone Euro).

Derrière ce chiffre se dissimule une immense souffrance, (pas seulement en Grèce ou au Portugal), qui correspond à la redistribution de revenus fonctionnant à l'envers, (de tous vers les plus riches... en UE et hors UE), que constitue le stock de ~7000 milliards de dettes publiques de la zone Euro. Il constitue sans doute la meilleure illustration de la malédiction européenne... que l'on peut formuler ainsi:

Lorsqu'on a le choix entre plusieurs options, pour être certain d'avoir la pire, il suffit d'une négociation franco-allemande  !

C'est ainsi que les statuts de la BCE de 2012, négociés au temps de Kohl et Mitterrand (1991), sont la copie des statuts de la Bundesbank d'après 1945, rédigés sous le contrôle des Alliés, conscients que le réarmement allemand, après 1933, avait été rendu possible par un mécanisme de création monétaire publique(*), habilement camouflé par le ministre H. Schacht. (Les Mefo bonds).

Ainsi en 2012, la création monétaire par la BCE au profit du secteur public est proscrite, (à l'image de ce qui fut décidé pour l'Allemagne, au siècle dernier). En outre, la liberté totale de circulation des capitaux, (y compris HORS UE), est garantie par les Traités (Maastricht, puis Lisbonne) !

H. Tietmeyer et J. Attali (#) se doutaient-ils que ces décisions de politique monétaire allaient placer les futurs gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, au service des marchés financiers plutôt que des peuples ? (Oui et... Non !)
Se doutaient-ils que, 19 ans plus tard, le choix des Eurocrates, cyniques ou béats, puis de la Troïka... serait de sauver les créanciers, c. à d. de faire baisser l'espérance de vie, en Grèce ou ailleurs ?

Les dispositions du Traité de Lisbonne qui rendent obligatoire un choix politique contraire aux droits humains, (puisqu'il conduit de plus en plus de Grecs, par exemple, à se nourrir d'ordures, ou à mettre fin à leurs jours), ne respectent pas le droit international, (qui prescrit aux gouvernements de satisfaire en priorité les besoins vitaux de leurs populations). Voir en particulier les articles 49, 63, 106, 107 et 123, (que l'on peut consulter à partir de la page 87 de http://tinyurl.com/T-Lisbonne).
 

Dans ce contexte tragique, vu le colossal conflit d'intérêts, (~210 milliards /an !), que représente le statut de la BCE, (véritable effet d'aubaine[# #] pour les marchés financiers), il semble ambitieux de viser son abolition totale... plutôt qu'un objectif plus limité, (moins inacceptable pour la droite allemande, et pour... les 1% qu'elle sert, au détriment des... 99% !)

On peut craindre, en effet que la peur de la spoliation qu'évoquent, pour nos concitoyens, des prêts sans échéance et sans intérêts, se conjugue avec celle de la "planche à billets", pour aboutir au rejet de cette proposition, puis de l'ensemble du Manifeste.

2) Depuis la fin de l'exercice collectif de rédaction de ce Manifeste, je me suis rendu compte que la création monétaire publique par la Banque Centrale est une ressource: comme pour toute ressource en quantité limitée, (énergie, eau...), il faut, comme le dit Paul Aries, Favoriser le bon usage et pénaliser le mésusage ! 

Il s'agit de transposer au domaine du financement des déficits publics l'idée de tarifs progressifs: de même que les kWh, (ou les m3), considérés comme indispensables aux besoins vitaux devraient être gratuits, (ou beaucoup moins coûteux que les suivants), de même, les émissions monétaires de la BCE au profit des États, devraient faire l'objet de tranches à taux d'intérêt fixes, mais augmentant avec le nombre de tranches utilisées... de façon que les gros consommateurs paient davantage d'intérêts à la BCE; (du moins en proportion de leur taille.)

L'application de ces règles d'équité au sein d'un Club Euro réformé... supposerait le retour à une situation d'endettement soutenable, c à d. des mesures de transition, (prêts gratuits ou à faible taux), permettant de ramener la dette dans la zone de soutenabilité du pays considéré, (compte tenu de sa situation et notamment, de son solde commercial).

La même approche de tarif progressif (en fonction de l'usage plus ou moins légitime de la ressource), devrait être appliquée au financement urgent des investissements publics indispensables à la transition énergétique.

Pour favoriser un compromis franco-allemand, (si possible moins désastreux pour les peuples européens que celui de 1991), on pourrait aussi examiner un nouveau mode de calcul de l'objet indéterminé qu'est le déficit dit structurel. (il existe presqu'autant de façon de le calculer que d'économistes.)

Il s'agirait d'introduire dans ce calcul un coefficient de pondération lié à la nature des dépenses publiques, qui pourrait être proche de zéro pour les dépenses d’investissement utiles à la transition énergétique... (Transports en commun, isolation des bâtiments), et au contraire ... supérieur à 1, pour les dépenses favorisant l’agriculture intensive, la sur-consommation, et la société du gaspillage ! Le dispositif pourrait être prémuni contre les abus, en tenant compte des capacités de production réellement disponibles, et en limitant par exemple à 5 ou 6 % du PIB, le déficit total non pondéré.

Merci d'avoir lu ces réflexions de jour anniversaire en vue de... briser enfin la malédiction franco-allemande !

R Z

(*) Cf . le parag. 4 page 6 de cet article.

 [#] "On a soigneusement oublié d'écrire l'article qui permet de sortir ; c'était peut-être pas très démocratique évidemment... mais c'était une garantie" (Jacques Attali, 24/01/11)

[# #] Il a fallu attendre la preuve par l'absence de solidarité envers la Grèce... pour que les spéculateurs, (Soros... Buffet... &co en tête [cf. passage à 5' 45" du début]), prennent conscience du cadeau que des négociateurs incompétents ou cyniques leur avaient fait... en ajoutant la liberté totale de circulation des capitaux, à l'outil injuste et inviable que peut être une monnaie unique sans solidarité entre ceux qui sont contraints de l'utiliser... (cf. Daniel Cohen  http://www.france-alter.info/Chemin_de_Damas.mp3  le 15 juin 2012).