Recouvrer le pouvoir monétaire                Raymond Zaharia

 

Une création monétaire excessive peut certes entraîner de l'inflation... il se trouve que les exemples que les banquiers et les rentiers se sont attachés à graver dans nos esprits, avec un certain succès, sont des cas de création monétaire publique: nous avons tous présents à l'esprit les épouvantails préférés des financiers... que constituent le cas des assignats sous la Révolution, ou celui des brouettes de marks à la fin des années 1920.

 

Cependant, la création monétaire publique peut aussi être un outil de politique économique permettant de créer de nouveaux biens publics. Patrick Viveret cite souvent l'exemple des réseaux de chemins de fer construits au 19ème siècle. 

 

Un autre cas moins souvent cité, (car il peut être embarrassant de faire la pub d'un outil qui a servi à l'apocalypse...), est celui du réarmement de l'Allemagne, accompli entre 1933 et 1939, en dépit des contraintes du Traité de Versailles...  

L'invention des "Mefo Bills" par le ministre des finances d'Hitler (Schacht) a tellement bien marché, hélas, que nous continuons, 77 ans après... a en subir les conséquences ! 

En effet, les statuts de la Banque Centrale Européenne (BCE) de 2010 sont ceux de la Bundesbank d'après 1945... écrits a une époque ou ses rédacteurs avaient deux bonnes raisons de proscrire la création monétaire publique: l'échec que furent les brouettes de Marks et le succès que furent, hélas, les MEFO Bills... (au point que Schacht démissionna quand il vit l'usage qui en était fait... il fut d'ailleurs relaxé lors du procès de Nuremberg).

 

Cf. les déclarations de Michel Rocard à l'été 2008 "Nous n'aurions jamais du céder sur les instruments monétaires": il fut quand même le 1er Ministre qui amorça  la négociation du Traité de Maastricht, et qui vit les Allemands exiger que les statuts de la BCE soient ceux de la Bundesbank... et que la libre circulation des capitaux soit totale (pas seulement au sein de l'UE), C'est d'ailleurs ainsi que les gouvernements se retrouvent "à poil"... comme on l'a bien vu, début mai.

 

Les Allemands viennent d'apprendre à NOS dépens, (nous sommes tous des... "Grecs Islandais" !), ce que peux coûter cette peur panique de la création monétaire publique, cette interdiction de rang constitutionnel de l'usage... du marteau, promulguée après... un assassinat à coups de marteau !  Depuis 65 ans, les marchands de cloueurs automatiques, (la finance privée, si vous préférez...), sont évidemment de chauds partisans du maintien de cette interdiction... tandis qu'au sein du gouvernement allemand, la remise en cause du tabou né après 1945... est, enfin entamée: quantitative easing et interdiction des ventes à découvert en sont, il me semble, des signes précurseurs. Mais bien entendu, rien n'est joué..

 

Pour fixer les idées sur l'enjeu... le stock de dette l'Eurozone est d'environ 7000 milliards: verser des intérêts de 1 ou 2 % à la BCE (au lieu de 3 ou 4 %  au plus riches européens ou... non européens), cela peut représenter une économie de 140 à 210 milliard d'intérêts par an (soit plus que le budget de l'UE...). 

Evidemment, ce calcul grossier risque de choquer les "professionnels"... Plein de correctifs sont nécessaires, par exemple... pour la part de la dette, (7000 milliards d’euros), qui n'est pas détenue par des banques (et qui ne serait donc pas annulée lors d'un remboursement en monnaie centrale BCE... d'ou des risques inflationnistes à évaluer et...à maîtriser. Merci de ne pas agiter trop fort l'épouvantail préféré... des financiers ! Les gens qui meurent dans les rues ne meurent pas d'inflation !) 

 

Ainsi, le potentiel de réduction, (ou plutôt de redéploiement...), de dépenses publiques totalement improductives, (car elles ne servent qu'à enrichir un peu plus les 10% les plus riches, en Europe et hors d'Europe...), est considérable.  

 

Pour revenir au point de départ, il n'y a aucune raison que la création monétaire publique soit toujours inflationniste et que la création monétaire privée ne le soit jamais. Simplement... la création monétaire privée excessive ne se porte que très  partiellement sur les dépenses de fonctionnement: ceux qui en profitent ne peuvent prendre 10 repas ou 10 vols par jour... (encore que, pour le vol...). 

De la  sorte, la création monétaire privée se reporte sur le "grand casino"... avec les incessantes bulles spéculatives qui nous enchantent ! Oui, la création monétaire privatisée, (ce formidable effet d'aubaine offert aux banques par des Allemands tétanisés par leur propre histoire), peut aussi être inflationniste ! 

 

Alors que la BCE elle même, déclare que la masse monétaire ne doit pas croître de plus de 4,5 % par an, elle a galopé à près de 10 % par an jusqu'en 2008 ! La BCE DOIT "servir la liquidité"... elle ne contrôle rien ! (le fameux coefficient multiplicateur... entre monnaie centrale et monnaie de banques de second rang... devrait plutôt être vu, désormais, comme un coefficient diviseur entre monnaie de banques et monnaie centrale).  

 

Que ces faits essentiels soient occultés pourrait devenir un jour un sujet de thèse... sur la façon dont l'opinion est anesthésiée... et combien l'indigence du débat public sur ces questions est une tragédie... (mais pas pour tout le monde !)

 

En recouvrant enfin, et en organisant le pouvoir monétaire (c’est-à-dire avec les garde fous, les contre pouvoirs, la subsidiarité, et le contrôle démocratique qui vont bien), on pourrait économiser, rien qu'en France, environ 1 milliard par semaine de dépenses publiques... Dans ce cas, l'obligation de voter un budget en équilibre, (hors investissements publics... à financer par emprunt auprès de la BCE), ne serait plus le terrible piège qui se prépare en ce moment même !

 

                                                                                                                                                                                                20 mai 2010