4 Jan 2012  "Questions autour de la dette publique." (En vue de la réunion du 14 janvier à la Bourse du Travail).

R. Zaharia  (Membre du Collectif Local pour un Audit Citoyen de le dette publique, en cours de constitution à Clamart).

NB version provisoire susceptible d'être modifiée/réorganisée en fonction des remarques qu'elle suscitera.

"Si notre pays peut émettre une obligation de un dollar, il peut émettre un billet d'un dollar. Les éléments qui justifient la valeur de l'obligation justifient tout autant la valeur du billet... N'est-il pas absurde de dire que notre pays peut émettre 30 millions de dollars en obligations, et ne peut pas créer 30 millions de dollars en billets ? Les deux sont des promesses de payer, mais l'une engraisse les usuriers, tandis que l'autre aiderait le peuple." Thomas Edison. (inventeur, entre autres, de l'ampoule électrique), dans un article publié dans le New York Times[#], le 6 Décembre 1921.

- Est-il vrai que, depuis 1993, les banques centrales, (La Banque de France, puis la BCE), n'ont plus le droit de prêter de l'argent à l'État français ?
- Est-il vrai que, avant 1973, les prêts de la Banque de France, (un service public depuis 1945), à l'Etat se faisaient sans intérêt, voire même sans remboursement, par augmentation de la quantité de monnaie ? Existe-t-il des pays où cette pratique continue d'être appliquée?
- Est-il vrai que les banques privées disposent du droit de créer de la monnaie ? Les banques centrales conservent-elle aussi ce droit ?

- Création monétaire "ex nihilo": comment gérer la controverse entre intervenants qui, lors d'une réunion publique, soutiennent que les banques ne créent pas de monnaie, (car "elles reprêtent les dépots de leurs clients"), et ceux qui, informés du système des réserves fractionnaires, parlent du "privilège bancaire de création monétaire ex nihilo"? Sachant que ce privilège avait pour contrepartie, avant la déreglementation, la mission confiée aux banques de financer le Trésor Public, (à travers des "planchers d'obligations", c. à d. des souscriptions obligatoires aux emprunts publics), ainsi que de financer l'économie réelle.

- Comment convaincre que "l'exemple de l'Allemagne", souvent cité par les partisans de l'austérité, ne peut s'appliquer à l'UE de Lisbonne dans son ensemble ? (En remarquant, par exemple, que les excédents commerciaux de "pays du Nord" ne peuvent exister que s'ils ont pour contrepartie des déficits de... "pays du Club Med"). Par ailleurs, quels sont les inconvénients, notamment en matière de justice sociale, du "modèle allemand" ?

- Est-il opportun de décrire ce qui se passe en Amérique du Sud, (Equateur, Bolivie, Brésil, Venezuela), comme un exemple et une source d'inspiration?

- Comment convaincre que l'usage de "la planche à billets", (selon l'expression péjorative des banquiers et des rentiers), n'est pas forcément inflationniste ? (notamment s'il existe des capacités de production inemployées qu'une création monétaire publique permet de mobiliser pour la création de richesses nouvelles).

- Plus précisément, si la nécessité de grands travaux d'intérêt général est reconnue, (économies d'énergie dans les bâtiments publics, par exemple), si les matières premières, les savoirs faire, et les compétences requises sont disponibles, comment nos responsables politiques peuvent-ils conclure en soupirant: "Ce serait bien, mais... on ne peut pas se le payer"? Comment la rareté organisée d'une monnaie désormais presqu'entièrement électronique, (les billets et les pièces représentant moins de 10 % de la masse monétaire), peut-elle faire obstacle à une volonté politique largement partagée ? (En nous privant, en outre, de "l'effet multiplicateur" de la dépense publique en période de récession ?!)

- Est-il vrai que la création monétaire par les banques privées se fait sous la forme d'autorisation de crédit ? Autrement dit, cela signifie-t-il que, lorsqu'une banque accorde un crédit, elle réalise seulement une écriture électronique augmentant artificiellement le solde de l'emprunteur ?
- Est-il vrai qu'en contrepartie, les banques ne doivent présenter qu'un dépôt à la BCE d'environ 2% des sommes prêtées / créées ?
- Est-il vrai qu'entre 2000 et 2008, la masse monétaire de la zone Euro a augmenté d'environ 10% par an ? Le fait que cette importante création monétaire par les banques privées n'ait pas entraîné d'inflation n'est-il pas un argument suffisant pour montrer que la création monétaire par les banques centrales n'aurait pas non plus cette conséquence ?

- Est-il vrai que le remboursement d'une dette auprès des banques se traduit par la destruction d'une masse monétaire équivalente (écriture électronique inverse) ? En est-il de même pour les emprunts d'Etat ? 
- Est-il vrai que les intérêts de la dette publique constituent l'essentiel du déficit budgétaire ?

Avant tout débat public sur la dette, (c. à d. sur les recettes fiscales, sur les investissements publics, et sur la création monétaire), ne faut-il pas prévoir que ce sujet n'a guère de chances d'être débattu dans de bonnes conditions, si l'on ne prend pas soin au départ de... "déblayer le terrain"?

Il s'agit, par exemple, de rectifier nombre d'idées reçues, démenties par les faits, mais que les médias dominants continuent de soutenir. Leurs journalistes ignorent, ou passent sous silence:
- la forte baisse, depuis 10 ans, des impôts et charges supportés par les plus riches et les multinationales, (ce qui accentue les déficits),
- les particularités de la création monétaire, qui peut être publique ou privée... bon marché ou d'un coùt colossal. (Ils peuvent, en outre, être égarés par des "éditocrates"... peu enclins à reconnaître leurs erreurs, ou plus généralement, à... "mordre la main qui les nourrit"!)

- Comment de grands groupes politiques, ou le Medef, peuvent-ils soutenir des options défavorables à la population, et donc à... la croissance ?!
 

Face aux "intérêts"... (à plus d'un sens du terme) en jeu... face à des économistes orthodoxes incapables de se remettre en cause, quelles précautions prendre pour préserver la qualité du débat ? Elles pourraient consister, par exemple, à:

- "déverminer" autant que possible les points de désaccord sur des éléments factuels, validés par l'expérience, (évitant ainsi un débat chaotique). Indiquer, par exemple, dès le départ que l'auto-régulation de la finance, mise en avant par les partisans de la déreglementation, n'est qu'un leurre ?
- vérifier que l'on parle bien de la même chose, et qu'on accepte une approche globale: ne pas masquer l'un des éléments d'une réalité complexe, comme, par exemple, le déséquilibre de la balance des paiements, aggravé par le choix de s'endetter auprès de "créanciers non résidents",

- convenir de certaines simplifications... et plus largement, éviter d'abasourdir l'auditoire par le jargon technique de la finance, qui est l'un des moyens de légitimer la domination de la sphère financière, au nom d'une prétendue "expertise" (dont on ne cesse de voir, depuis 4 ans, les... effets heureux !)

Faute de mesures préventives pour limiter la perversion du débat public, le découragement ou la résignation... pourraient naître... d'une confusion voulue... ou non ! Parmi les questions "brûlantes", (car elles peuvent à tout moment... enflammer la discussion !), on peut citer, dans le désordre:

- Mettre fin à la surévaluation de l'Euro ? Doit-on en faire un sujet tabou au prétexte que cela risque de déplaire à beaucoup de nos voisins allemands (nostalgiques du... "DM fort" !), ou aux US, sans oublier que la Chine dénoncerait une... "dévaluation compétitive" ?

- zapper ou non la question d'un déséquilibre extérieur ? C'est ce que nous faisons en général pour simplifier la discussion, (du moins, tant qu'on ne parle pas de sortie de l'Euro),

- reconnaître qu'user de la monétisation pour rembourser la dette publique, (c à d. prendre un risque maîtrisé d'inflation et de dévaluation de l'Euro), c'est "moins pire" que de voir nos pays gouvernés par Goldman Sachs, et "vendus à la découpe"... comme c'est déjà le cas pour la Grèce et l'Italie ?

- Ne faut-il pas rappeler une évidence: "Les dettes de la République Française sont libellées en monnaie de la République Française"? Autrement dit, notre dette publique, autrefois libellée en Francs fut unilatéralement convertie en Euro, il y a 10 ans, et serait de même convertie dans notre nouvelle monnaie, si d'aventure un gouvernement français résolu à se soustraire à la domination de la finance, décidait de quitter l'Euro, après avoir tenté sans succès de le réformer. (C. à d. quitter le système monétaire injuste et absurde que constitue une monnaie unique avec maintien de la concurrence entre les États contraints de l'utiliser).

Or, selon Jacques Attali et d'autres, "la sortie de l'Euro n'a pas été prévue !" De la sorte, comment peut-on affirmer:"En cas de sortie de l'Euro, notre dette publique pourrait doubler à cause de la dévaluation prévisible de notre monnaie"? Cela revient à prétendre que la dette de la France pourrait être libellée... dans une monnaie étrangère ! (celle que, dans cette hypothèse, l'Euro deviendrait !)

Ainsi sur... "une question à 1000 milliards..." (Excusez du peu !), tenter de discréditer une hypothèse de sortie de l'Euro par l'argument d'un gonflement colossal de la dette publique, (comme Laurent Wauquiez, sur France Culture, le 21 déc.), n'est-ce point concéder par avance à nos créanciers étrangers... ce qu'ils n'oseraient même pas demander ? (On voit de quel coté se situent les... "dangereux irresponsables"!)

En passant, l'absence de procédure de sortie de la "monnaie inique" est une illustration de... la "méthode Monnet", celle qui consiste, pour forcer des abandons de souveraineté successifs, à se jeter dans le vide... en supposant qu'ainsi... on sera bien obligés de "se mettre d'accord sur l'usage d'un parachute"! (Quid de ce concentré de sagesse populaire qui dit pourtant:"Gouverner, c'est prévoir"?)

- reconnaître que, pour pouvoir analyser la crise, proposer des solutions, (et répliquer aux objections), certaines infos vitales sur notre dette publique ne sont pas disponibles, par exemple: quelle part de la dette est détenue par des agents non bancaires ? (en France, dans le reste de la zone Euro, et hors zone Euro). La consistance et l'échéancier de ces diverses composantes de la dette sont un élément critique vis à vis de l'option de la monétisation.

Il est vain de s'affronter sur des choix aussi décisifs, lorsqu'il manque les infos de base ! (Sur la fraction des dettes publiques détenue par des banques de la zone Euro, voir les tableaux 1 & 3 de cette note Natixis.)

En synthèse, pour préserver des conditions de débat convenables, s'efforcer d'énoncer une série d'options de politique économique que l'on ne s'interdit pas a priori de considérer. En politique comme ailleurs, les bonnes idées sont rares: ne faudrait-il pas:
- éviter de les écarter au prétexte qu'elles pourraient choquer des voisins du Nord, ou parce qu'elles sont contraires au Traité de Lisbonne ?
- s'efforcer de les juger sur leur mérites propres plutôt que sur la nature des partis qui les portent ? (Une bonne idée perd-elle de sa valeur parce qu'elle est soutenue par l'extrême droite, ou par des antisémites, ou.... par la "vraie gauche" ?)

Quand on doit traiter une question difficile, peut-on se priver d'un seul des moyens susceptibles d'aider à la résoudre ?!

----------------------
[#] Thomas Edison sur la Monnaie

The Inventor of the electric light, Thomas Edison, said in an article published in the New York Times, on December 6, 1921
"If our nation can issue a dollar bond, it can issue a dollar bill. The element that makes the bond good, makes the bill good, also ... It is absurd to say that our country can issue 30 million dollars in bonds and not 30 million dollars in currency. Both are promises to pay, but one promise fattens the usurers and the other helps the people."