Mars 2011 Libre opinion :

L’impossible harmonisation sociale et fiscale dans le cadre des traités européens actuels.  

(Contribution au débat interne Attac sur l’Europe)                   Michel Fenayon

 

A chaque élection, des politiques nous ressortent les mêmes promesses:

"Bientôt, il y aura harmonisation sociale et fiscale entre les pays européens. Cette harmonisation mettra fin à l’inacceptable dumping social et fiscal entre les pays européens et ouvrira la voie à une vraie coopération". Les promesses ne valent que pour ceux qui les écoutent et y croient sans aller voir si la promesse est tenable.

Et bien allons voir et pour cela reportons nous aux deux articles (113 et 114)  du TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) dit traité de Lisbonne qui traitent de l’harmonisation sociale et fiscale :

 

- Art 113(ex-article 93 du traité constitutionnel refusé par référendum en 2005) : Le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure spéciale……….arrête les dispositions touchant à l’harmonisation des législations relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires, aux droits d’accises et autres impôts indirects dans la mesure où cette harmonisation est nécessaire pour assurer l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur et éviter les distorsions de concurrence.

 

* Commentaires : il faut l’unanimité (procédure spéciale) des 27 pays de l’UE pour harmoniser….et le seul motif acceptable pour cette harmonisation ne peut être que le bon fonctionnement de la concurrence……en aucun cas des considérations sociales !! (Droits d’accises : impôts sur la consommation par exemple tabac, alcool, essence, etc.)

Poursuivons avec l’article 114 :

 

- Art 114(ex-article 95 du traité constitutionnel refusé par référendum en 2005) : ... Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire ……, arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur.

 

* Commentaires : Cet article laisse à penser qu’il suffit d’avoir d’une « majorité qualifiée » (procédure législative ordinaire) et non pas l’unanimité pour rapprocher les systèmes fiscaux et sociaux des différents pays de l’UE. Bien sûr, il est indiqué que ces rapprochements ne peuvent avoir pour objectif que « le fonctionnement du marché » !!!!. En aucun cas des considérations sociales ne peuvent être prises en compte. Cependant, reconnaissons, qu’il est plus facile d’avoir un « rapprochement » par la « majorité qualifiée » que par l’unanimité. On pourrait donc être optimiste et penser que l’harmonisation est possible dans le cadre des traités existants. Mais patatras !!!

 

- Le deuxième paragraphe de cet article 114 indique :

Le paragraphe un ne s’applique pas aux dispositions fiscales, aux dispositions relatives à la libre circulation des personnes et à celles relatives aux droits et intérêts des travailleurs salariés 

 

* Commentaires : on ne peut être plus clair, il faut l’unanimité des 27 pays de l’UE pour toute harmonisation sociale et fiscale.

Il suffit qu’un des 27 pays de l’UE s’y oppose pour que toute harmonisation soit impossible, et soyons sûr, que si l’on propose une harmonisation, il y aura des pays qui considèrerons que la « situation harmonisée » constitue pour eux soit un recul social, soit une perte de compétitivité et en conséquence s’opposeront à l’harmonisation, sauf à supposer que certains pays soient masochistes au point d’accepter des sacrifices pour le bien commun de l’UE. Toute l’histoire de la construction européenne démontre le contraire.

Promettre «l’harmonisation sociale et fiscale » sans préciser comment l’on compte s’y prendre pour tenir cette promesse dans le cadre des traités actuels est donc une tromperie. Plusieurs solutions sont possibles pour tenter de réaliser la promesse :

 

1. Revoir les traités pour que l’harmonisation fiscale et sociale ne requière que la « majorité qualifiée » au lieu de l’unanimité. Pour revoir les traités il faut également l’unanimité des 27 pays. Il suffit d’un vote contre pour que toute modification des traités soit irréalisable. Aucun espoir, cette solution est donc également une tromperie

 

2. Créer des « coopérations renforcées » entre pays de l’UE ayant pour but l’harmonisation fiscale et sociale. Les objectifs acceptables, les procédures et les conditions de mise en place de ces « coopérations renforcées » sont tellement complexes et contraignantes qu’à ce jour aucune « coopération renforcée » n’a vu le jour au sein de l’UE. Encore faudrait-il savoir si d’autres pays sont d’accord pour s’engager dans cette voie. Cette solution est également une tromperie.

 

3. Réaffirmer que le TFUE (traité de Lisbonne) n’est que la copie du TCE (traité Constitutionnel Européen) qui a été rejeté par les français et indiquer que la France n’appliquera pas ce traité. On peut envisager de confirmer, à nouveau, ce refus par un nouveau référendum.

 

4. Pratiquer la "désobéissance européenne", c'est-à-dire refuser de transposer dans la législation française les directives européennes traitant entre autres de la libéralisation d’un marché, si cette libéralisation ne s’accompagne pas d’une harmonisation sociale et fiscale pour les acteurs du marché concerné. Par exemple : la libération des transports routiers ne peut être acceptée que si elle s’accompagne d’une harmonisation sociale (salaires, conditions de travail, protection sociale, etc.) pour les personnes concernées, en particulier les chauffeurs routiers, et une harmonisation fiscale pour les entreprises de transport routier (ISS, taxes à l’essieu, taxes sur gas-oil, etc.).

Le refus de transposer les directives européennes dans la législation française entraînera des sanctions financières de la part de l’UE. Bien sûr, nous refuserons de payer, en nous appuyant, si nécessaire, sur un référendum spécifique sur le sujet. Il s’agit de créer un rapport de force. J’ai l’espoir que cette attitude pourra entraîner le soutien d’autres peuples, d’organisations syndicales, d’associations, de partis politiques et même d’autres gouvernements en Europe.

Je reconnais que cette attitude peut entraîner notre exclusion de l’UE (bien que ce soit très difficile…toujours d’après les traités !!), en aucun cas il ne faut prendre l’initiative de sortir de l’UE, mais mettre les autres devant un choix : soit concéder sur l’harmonisation, soit nous exclure. Cette attitude n’a rien d’extraordinaire, c’est celle qui est pratiquée en permanence par les Anglais qui ont ainsi plein d’exemptions dans tous les traités, car les pays européens ont préféré les concessions plutôt que l’exclusion de l’Angleterre.

 

Chacun aura compris que c’est cette quatrième solution qui a ma préférence.

 

Nous devons interpeller, harceler tous les candidats promettant l’harmonisation fiscale et sociale en leur demandant comment ils comptent tenir leur promesse dans le cadre des traités actuels de l’UE, en refusant toute réponse du genre « yaka revoir les traités » ou « yaka faire des coopérations renforcées ».

Interrogeons-nous : Est-il surprenant que les traités ne permettent pas une harmonisation sociale et fiscale ? En fait ouvrir cette possibilité dans les traités est absolument contraire à l’idéologie qui a prévalu à la construction européenne : "la concurrence libre et non faussée", concurrence entre les produits, les services, les entreprises, les travailleurs, les Etats. Le fondement de cette idéologie est que cette concurrence permet "l’affectation optimum des capitaux".

 Affectation optimum des capitaux, comprendre : affectation des capitaux là ou ils rapporteront le plus, ce qui n’a rien à voir avec là ou la société, les citoyens en auraient le plus besoin. Cette idéologie a été portée principalement par Jean Monnet, un intellectuel pro-américain et ultra libéral qui s’est enrichi dans la vente d’alcool du temps de la prohibition au Canada et aux Etats-Unis (voir biographies de Jean Monnet) et par Robert Schumann, dont il a été démontré en 2000 par un journal anglais qu’il était un agent des services américains (voir biographie de Robert Schumann).

 

Comment ces ultralibéraux ont-ils pu imposer aux dirigeants et aux peuples cette idéologie pour la construction de l’UE ?? Ils n’ont pas dit : « nous allons mettre les peuples et les Etats en concurrence, nous allons remplacer la guerre avec des armes par la guerre économique ». Un tel argument serait sans doute mal passé. Ils ont été beaucoup plus subtils, ils ont utilisé la stratégie de la peur, celle qu’utilise en permanence notre Président de la République actuel.

 

A la sortie de la guerre, le traumatisme des populations était considérable. Elles souhaitaient que tout soit fait pour éviter que puisse un jour se déclarer une troisième guerre mondiale. L’époque était au "plus jamais ça". Euréka se disent nos ultralibéraux, voilà comment justifier la construction européenne. Cette construction est la réponse au "plus jamais ça", c’est mieux que de dire qu’on substitue à la guerre "la concurrence libre et non faussée" entre les Etats et les salariés. Les citoyens et les élites ont gobé l’argument sans réfléchir, sans aller voir dans le détail ce qu’était réellement cette construction européenne.

L’argument de la paix est fallacieux. Rien ne dit que sans la construction européenne il y aurait eu une autre guerre en Europe. Plus grave, aujourd’hui, cette construction européenne est une menace pour la paix.

Pour s’en convaincre il suffit de lire les journaux grecs et ce qu’ils écrivent sur les allemands, il suffit de voir les réactions des allemands auprès de ceux qui leur demandent d’avoir une attitude plus coopérative avec les autres pays d’Europe, du fait que la balance commerciale allemande est positive avec pratiquement tous les pays européens, il suffit de voir toutes les critiques formulées à l’encontre des syndicats ouvriers allemands qui acceptent de faire le sacrifice de leurs intérêts particuliers au nom de l’intérêt supérieur de l’Allemagne, il suffit d’entendre avec quel mépris sont traités certains pays : les PIGS, les « pays du Club Med »., etc.

 

Aujourd’hui ces critiques, ces accusations, ces comportements méprisant, etc. sont feutrés, mais ils occupent de plus en plus de place dans les médias. Ils font leur chemin dans le cerveau des citoyens et gagnent peu à peu du terrain auprès de certaines opinions publiques européennes. Qui peut dire qu’il n’y a pas le risque, qu’un jour, les peuples ne s’enflamment et ne trouvent dans l’autre la cause de leurs malheurs ? En admettant, ce que je ne crois pas du tout, que la construction européenne, ait été un facteur de paix, il faut se rendre à l’évidence : la construction européenne telle qu’elle est conçue actuellement est un risque pour la paix et …..c’est tout à fait normal.

 

On ne construit pas une coopération pacifique entre Etats et citoyens sur la base de la concurrence. La concurrence c’est le contraire de la coopération pacifique. Alors si l’on veut faire de l’Europe une zone de paix durable, il faut tout reprendre à zéro, et pour cela pratiquer la « désobéissance européenne » pour sortir «de la concurrence libre et non faussée » et instituer la coopération entre les Etats et entre les citoyens en particulier par « l’harmonisation sociale et fiscale ».

 

Sources :

Texte du TFUE : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2008:115:0047:0199:FR:PDF

Monnet : http://books.google.fr/books?id=T0PcErQ5J6cC&pg=PA15&lpg=PA15&dq=jean+monnet+prohibition&source=bl&ots=aZPK544q0u&sig=VCwvWwuKrjF-Ieh3m9rSDs8majo&hl=fr&ei=9VNiTenUJsqb8QOhj6TxCA&sa=X&oi=book_result&ct=result&resnum=3&ved=0CCgQ6AEwAg#v=onepage&q=jean%20monnet%20prohibition&f=false

Schumann : http://www.u-p-r.fr/wp-content/uploads/2011/02/UPR-DOSSIER-DE-FOND-LA-FACE-CACHEE-DE-ROBERT-SCHUMAN-f%C3%A9vrier-2011.pdf

Statistiques : http://www.oecd.org/statsportal/0,3352,fr_2825_293564_1_1_1_1_1,00.html