La dette publique vue par le groupe Clamart de l'association Attac.

(RZ 25 Avril 2012. Révisé 30 avril, 1er Mai et 3 Juin.)

Depuis le début de l'année, Attac-Clamart a organisé 3 réunions sur la dette publique (9 Fév. 15 Mars, et 24 Mai).

A partir de documents indiscutables, nous avons mis en évidence que le gonflement du déficit et de la dette publics était d'abord la conséquence d'une baisse des recettes fiscales et non, comme répété depuis 5 ans, d'une hausse des dépenses.

En effet, entre 1993 et 2008, les dépenses publiques ont perdu ~4 points de PIB, (de 26% à 22 %, soit une baisse relative de 15%). En Euro 2012, cela représente un peu moins de 80 milliards /an. (Compte tenu de la crise de l'Euro, les années 2009 à 2011 ont vu une correction partielle de cette tendance à la baisse des dépenses publiques).

(Graphique établi par le comité local Attac-Rhone).
Les dépenses publiques ont, pour la plupart, un effet de redistribution de revenus qui, (même imparfait), se situe au coeur du pacte républicain hérité du programme du CNR, (Conseil National de la Résistance). C'est le cas pour la santé et l'éducation, pour la retraite ainsi que les diverses dépenses sociales: allocations familiales, parent isolé, logement, etc. (qui pourraient d'ailleurs être regroupées, notamment au nom de la simplification administrative, en un revenu universel, imposable, et... unique !)

S'agissant de la dette publique, c'est au contraire une machine à redistribuer les revenus qui... fonctionne à l'envers: de tous vers les plus riches !

C'est ainsi qu'entre 1993 et 2008, les dépenses hors intérêts de la dette ont perdu plus de 50 milliards (en Euro 2012).

Par ailleurs, les travaux de Camille Landais ont montré qu'entre 1998 et 2005, les revenus des catégories les plus riches ont augmenté plus vite que la moyenne. Selon l'Observatoire des inégalités, le niveau de vie de 80% d'entre nous se situe entre 800 et 2700 E /mois, tandis que la forte hausse des inégalités de revenus entre les 1% les plus riches et les 1% les plus pauvres, se combine avec la disparition de pans entiers du service public, (effets de la RGPP), pour accentuer les écarts de niveau de vie.

La forte baisse des dépenses publiques à caractère redistributif, conforme aux exigences du Medef, est bien entamée. Elle constitue une remise en cause radicale du Pacte Républicain, et fait naître un sentiment d'abandon parmi les catégories et quartiers défavorisés. (cf. la montée du vote protestataire, notamment le 22 avril 2012).

Coté recettes fiscales, la baisse de l'activité économique, notamment en 2009, a aggravé l'effet des niches fiscales, (plus de 65 milliards /an).

La raréfaction du crédit aux particuliers et aux PME/TPE a entraîné la contraction de la masse monétaire, (le "Credit crunch" des anglophones), et apporte la preuve - si besoin était - de la maladresse du sauvetage des banques, opéré fin 2008 sans aucune conditionnalité, (selon la formule du FMI), en termes de soutien à l'économie !

Le graphique ci dessus montre une baisse de recettes de ~4,5 points de PIB, ce qui est cohérent avec l'évaluation de divers partis politiques ou associations, qui ont chiffré à près de 100 milliards/an l'effet global, depuis 10 ans, de la baisse des impôts pour les plus riches, (particuliers et grandes entreprises).

Pour compléter ce tableau... depuis le Traité de Maastricht, le Trésor Public n'a plus que le choix de recourir aux marchés financiers pour contracter des emprunts permettant d'équilibrer le budget: les prêts directs de la BCE à des taux très faibles, (par exemple, 1% sur un prêt à 3 ans), sont réservés aux banques. De la sorte, sur les 1313 milliards de l'en cours de dette de l'Etat (à fin 2011), le taux d'intérêt moyen est proche de 3,75 %, ce qui implique un surcoût de plus de 35 milliards /an, (par rapport au taux offert aux banques par la BCE).

Or, si une ou plusieurs banques de la taille de la BNP étaient détenues par l'État, elles pourraient, comme les banques privées, bénéficier des prêts de la Banque Centrale. (Cette égalité de traitement est garantie par l'article 123 du Traité de Lisbonne, celui-là même qui, selon la volonté de la Bundesbank il y a 20 ans, a interdit les prêts directs de la BCE au Trésor Public). De la sorte, un éventuel surcoût de 35 milliards/an sur des prêts consentis par un (hypothétique) pole public bancaire de taille suffisante... se retrouverait, au moins en partie, dans les dividendes versés à l'actionnaire, c à d... l'État !

Au contraire, depuis plus de 20 ans, les banques où la puissance publique était majoritaire, ont été privatisées, de sorte que, si la volonté politique est présente... il faudra brûler les étapes pour recréer un pole public bancaire susceptible de prêter plusieurs dizaines de milliards /an, à l'État, (et aux communes), à des conditions plus favorables que celles imposées par les agences de notation, et par la cupidité des fonds spéculatifs, (agissant parfois au profit de caisses de retraite par capitalisation, en UE et hors UE...)

Certaines des libertés fondamentales, (sinon fondamentalistes ?), garanties par le traité de Lisbonne peuvent en effet se combiner pour produire des effets indésirables, (mais pas forcément imprévus): ainsi, la concurrence "libre donc faussée..." se conjugue avec la libre circulation des capitaux, y compris hors UE, pour faire de la zone Euro un territoire de libre prédation offert aux fonds spéculatifs ! La déréglementation a libéré "l'innovation financière"... les ventes à découvert.... et les "CDS nus": l'ancien premier ministre grec a pu comparer certaines opérations financières à de... la carambouille ! ("Vous prenez une assurance sur la maison du voisin, puis vous y mettez le feu pour toucher la prime"!)

Au résultat, les recettes fiscales ont baissé encore plus vite que les dépenses publiques utiles... ce qui a gonflé la dette: +50 % entre fin 2006 et fin 2011 (877 et 1313 milliards, respectivement, selon l'Agence France Trésor).

L'effet combiné du dumping fiscal (un peu moins de 100 milliards /an), et du surcoût des emprunts publics (~35 milliards /an), représente donc des sommes colossales ! (~600 Milliards en 10 ans). Autant de moins pour la réduction des déficits, le remboursement de la dette, et la redistribution des revenus.

Sans surprise, la lutte contre les inégalités est en échec: en moyenne, ce sont 40 000 d'entre nous qui passent chaque année sous le seuil de pauvreté. La destruction du modèle social issu du programme du CNR suit son cours. (Certes, pour le Medef, la solidarité et la coopération conservent une place toujours trop grande, par rapport à la concurrence de tous contre tous, supposée garantir l'intérêt général !)

Le déficit provoqué... provoque l'explosion de la dette ! Il devient un outil au service du discours sur l'austérité inévitable. La démolition en cours des services publics alimente le sentiment d'insécurité sociale, (et le recours aux assurances privées). Des mesures injustes comme la fermeture de lits d'hôpitaux, la réduction du nombre de postes d'enseignants, ou la baisse des retraites sont acceptées avec résignation et docilité par ceux à qui l'on a réussi à faire croire qu'ils... vivent au dessus de leurs moyens !

Le Pacte budgétaire, (encore appelé «Fiscal compact», en langage bruxellois...), ne corrige absolument pas l'aberration que constitue une monnaie unique sans solidarité entre ceux qui l'utilisent(ne pas oublier que Sauver la Grèce signifie en réalité Sauver les créanciers de la Grèce, même si pour cela, de plus en plus de Grecs doivent... se nourrir dans les poubelles, ou préfèrent se suicider). Le Pacte budgétaire, c'est l'entêtement dans l'erreur, plus que le développement soutenable...  il nous apporterl'austérité et la récession... insoutenables !

Pourtant, des solutions existent et sont à notre portée: fin des cadeaux fiscaux aux plus riches, (particuliers et grandes entreprises), limitation du pouvoir des donneurs d'ordre, (qui finissent presque toujours par récupérer le bénéfice des aides publiques aux PME/TPE), et accès aux prêts avantageux que la BCE consent aux banques.

Dans cette situation, le danger le plus grave pour la démocratie est la désinformation fondée par exemple sur la comparaison abusive entre la puissance publique et un particulier vivant au dessus de ses moyens... En effet, ce dernier n'a pas, comme l'État, une longévité de plusieurs siècles... ni la possibilité d'augmenter ses revenus, en faisant contribuer davantage les plus riches, (particuliers ou entreprises), ou de diminuer le coût de ses emprunts, en mettant en place un pole public bancaire (dont les bénéfices éventuels reviendraient à l'État actionnaire).

En réalité, la dette publique sert la stratégie du choc, (cf. Naomi Klein), pour rendre acceptable l'inacceptable: la destruction des solidarités qui forment la trame du tissu social, c à d la disparition de toute possibilité d'un vivre ensemble serein...

Patrick Viveret parle à juste titre de l'effet de sidération: la résignation et la docilité sont cultivées matin, midi, et soir par les médias dominants et par leurs... Nouveaux chiens de garde, (film génial de G. Balbastre et Y. Kergoat), sans oublier... [le Cercle des...] Imposteurs de l'économie !

Force est de constater que les 2 sources du déficit de l'Etat, (dumping fiscal et surcoût des emprunt publics), sont une conséquence de l'usage d'une monnaie unique avec maintien de la concurrence entre les États qui l'utilisent !

En effet, au sein de l'UE de Lisbonne, les excédents commerciaux des uns, (par exemple au Nord et à l'Est), ne peuvent exister qu'à raison des déficits des autres, (par exemple au Sud). On ne punit pas l'Ardèche parce qu'elle exporte moins que le Bas Rhin ! C'est pourtant ce que fait, en Gréce, l'UE de Lisbonne ! (sans oublier l'Irlande, le Portugual, et l'Espagne).

Même sans les fortes différences de rémunérations... l'Union monétaire sans harmonisation fiscale et sociale (et avec liberté totale de circulation des capitaux), serait déjà une source de déséquilibres. Avec la concurrence fiscale et la libre prédation... elle devient une machine à répandre l'austérité sur des dizaines de millions d'européens. (sans pour autant améliorer à due concurrence... le sort des plus défavorisés, dans les pays où ont été délocalisées nos industries).

En tant que système conçu pour favoriser la compétitivité, (c a d. en réalité, les profits), de quelques grandes entreprises... il n'est pas douteux que l'UE de Lisbonne (et la stratégie du même nom), soit un immense succès... qui explique le rejet de plus en plus marqué que nous inspire l'Euro actuel ! L'économie sur les coûts de transaction, pour quelques firmes exportatrices, est sans commune mesure avec les dégâts sociaux et environnementaux de cette monnaie unique !

En conclusion, le but de ces réunions publiques, (et, au niveau national, de l'audit citoyen de la dette), est bien de sensibiliser nos concitoyens sur des faits qui ne sont pas assez présents dans le débat public:

- la menace pour la démocratie que constitue un gouvernement qui hésite à rétablir les recettes fiscales au niveau qu'elles avaient avant 2002, et qui doit donc se plier aux exigences des marchés financiers (et de leurs agences de notation),

- l'intérêt de créer un (ou plusieurs) pole(s) public(s) bancaire(s), de taille suffisante pour mettre à profit la possibilité de prêts directs de la BCE que ménage le 2ieme alinea de l'article 123 du Traité de Lisbonne (cf. page 130 de http://tinyurl.com/T-Lisbonne ). Sinon, la privatisation du privilège de création monétaire par le crédit, intervenue dans le sillage du Traité de Maastricht, (cf. le coefficient multiplicateur proche de 5 entre la masse monétaire M1 et la base monétaire BCE, visible page 5 de ce doc. Natixis), continuera à alourdir de plusieurs dizaines de milliards/an le budget de l'État.

Quel que soit le résultat des élections, la question de s'émanciper de la dictature des marchés financiers afin de conjurer la récession et l'austérité durables... restera hélas dans l'actualité... en France et ailleurs !