L’imbroglio grec. La dette souveraine grecque prise au piège de la zone euro.
15 Juillet 2011  http://www.atterres.org

Benjamin Coriat (coriat@club-internet.fr).  Christopher Lantenois (lantenois@club-internet.fr

[...] Le texte intégral de cet article de référence, (qui explique, entre autres, comment le laxisme incroyable des règles des CDS constitue un facteur aggravant de la crise de l'Euro), se trouve ici. En voici les 10 dernières pages... édifiantes !

6. Pour Conclure : Après l’échec, la cacophonie du refinancement.

On croyait avoir touché le fond. Mais il n’en est rien. Le meilleur ou presque est encore à venir. Car la discussion autour du second nouveau plan d’aide, devenu indispensable, a mis en évidence des dissonances majeures au sein de la Troïka. [FMI + BCE + UE: Commission de Bruxelles] Les points d’accord entre les partenaires de la Troïka sont simples à énoncer. Ils sont au nombre de deux :

- La Grèce doit ajouter de l’austérité à l’austérité, en imposant des sacrifices à son peuple encore plus importants, au risque évidemment de dépasser toutes les limites et de provoquer une explosion sociale.
- La Grèce doit étendre et étendre encore ses privatisations. Le domaine public est la variable d’ajustement de la crise financière. L’échec du marché se traduit donc par cela : à travers 50 milliards de privatisations supplémentaires, toujours plus de marché !
Jusqu’ici les choses sont simples puisqu’il s’agit de dépouiller la Grèce de ses actifs et ses classes moyennes et pauvres (qui comme toujours supportent l’essentiel de l’ajustement), de leurs maigres revenus.
Là où les choses se compliquent, c’est lorsqu’il s’agit pour les partenaires associés dans la Troïka de se mettre d’accord sur une vision du futur : comment sortir du chaos créé par la crise financière ?
Ici plus que jamais l’enjeu est de taille, car la Grèce sert de cobaye. Ce qui sera décidé fera référence pour la gestion des dettes souveraines des autres pays de l’UE frappés par la crise. Deux conceptions s’opposent :

* Emmenés par l’Allemagne, certains pays membres de l’UE sont prêts à participer à un nouveau prêt à une condition majeure. Procéder à une « restructuration » de la dette impliquant les créanciers bancaires privés qui devront ainsi être amenés à assumer une partie du coût du re-profilage. En clair la restructuration (rebaptisée « re-profilage » pour ne pas appeler les choses par leur nom) porterait sur 3 points :

(1) abaisser les taux d’intérêt,

(2) allonger la « duration » des remboursements, enfin, mais on hésite davantage,

(3) faire assumer par les détenteurs privés de la dette une partie du non remboursement. Notons que l’Allemagne - qui défend ce point de vue - est ici cohérente avec elle même et la position qu’elle a prise depuis longtemps.

* C’est ici que la BCE est sortie du bois en refusant la préconisation allemande, et en proclamant haut et fort qu’elle s’opposera à tout ce qui ressemble à un «évènement de crédit» dans la gestion de la dette grecque41.
La BCE se pose en effet en défenseur intransigeant des créanciers en refusant tout ce qui ressemblerait à un non-paiement de la dette telle qu’elle est aujourd’hui constituée (capital, intérêt, échelonnement des créances). Rien que ça ! La BCE précise en effet que par évènement de crédit, elle entend toute modification de la gestion de la dette qui entraînerait que les détenteurs de titres de dette grecque pourraient exiger de leurs « assureurs » l’exécution des contrats d’assurance.

En pratique, on retrouve ici les fameux CDS : le marché des vendeurs et acheteurs de « protection ». Avec les créanciers, ce sont les détenteurs de CDS que la BCE veut aussi protéger. Comme pour la crise des subprimes, les assurances sur les défauts de crédit ne valent qu’autant que l’on n’y a pas recours… Les primes empochées par les « assureurs » (en pratique des banques et des fonds de pension) sont ainsi déclarées intouchables, puisque en cas de crise, tout est fait pour qu’ils n’assument pas les risques qu’ils sont censés couvrir et pour lesquels ils sont rémunérés.

L’annonce de la BCE, qu’aucun évènement de crédit ne peut avoir lieu, est si crédible que les agences de notation ont immédiatement traduit le message. L’intransigeance de la BCE, et donc les obstacles qu’elle dresse à la mise en place du deuxième plan, s’est traduite par une inquiétude supplémentaire des marchés. La note de la dette grecque est passée en juin 2011 de B à CCC, une chute de 3 crans, la plus basse des notes jamais attribuées à une dette publique non encore en défaut42.

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41 Cette position de la BCE s’explique par plusieurs motifs. L’un d’entre eux est qu’en cas de restructuration, elle se trouverait elle-même exposée à de lourdes pertes, se trouvant elle dépositaire (à travers différents protocoles) de plusieurs dizaines de milliards d’euros d’actifs helléniques (bons de la dette souveraine, où actifs déposés par les banques grecques pour se refinancer) (Ruparel & Persson, 2011).

42 Une version du compromis qui a circulé avec insistance au sein de la Troïka portait sur ceci : un « re-profilage » de la dette grecque consisterait à demander aux créanciers privés d’accepter de refinancer la dette en échangeant les bons arrivants à échéance contre de nouveaux bons à échéance reportée dans le temps.
Mais là encore la BCE a posé ses conditions : cette opération ne pourrait s’effectuer que sur une base « volontaire », - cas qui exclut la mise en action des CDS. A défaut la BCE use de menaces : elle n’accepterait plus en dépôt contre du cash les bons de la dette grecque qui lui seraient proposés par leurs détenteurs. Finalement cette solution ne fut pas retenue. De même une proposition française visant à impliquer les créanciers privés sur une base « volontaire » n’eut pas l’heur de plaire aux agences de notation et fut elle aussi écartée.

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Dans ce contexte, a fortement contribué à alourdir le climat le refus du FMI de verser la cinquième tranche de crédit prévue au titre du Plan de 2010, et indispensable au refinancement des crédits venant à échéance en juillet 2011. Une pression gigantesque (orchestrée médiatiquement sur le mode de la tragédie à venir) a ainsi été exercée sur la Grèce pour la conduire à proposer de nouvelles réductions de dépenses. Finalement, le Parlement grec adopte le 29 juin d’une courte majorité un plan supplémentaire d’austérité. Très fortement contestée par la rue, l’adoption du plan est présentée comme condition sine qua non du versement de la cinquième tranche.
La dernière tranche prévue au titre du plan 2010 fut finalement débloquée, éloignant provisoirement la perspective de défaut. Mais au jour où sont écrites ces lignes (mi-juillet 2011), rien n’est vraiment réglé. L’UE, la BCE et le FMI négocient toujours les termes d’un deuxième plan dont le montant s’établirait autour de 115 milliards d’euros.
Les discussions sur ce plan ont été l’occasion, jusqu’à l’écoeurement, de l’étalement des dissensions entre les partenaires de la Troïka, et de leur complète absence de vue à long terme. Pire encore la totale incapacité de l’Europe à proposer une solution crédible a conduit à un redoublement de la spéculation financière contre d’autres dettes souveraines : c’est ainsi que les dettes portugaises et espagnoles ont vu leurs notes dégradées par les agences de notation avant que celles-ci ne s’en prennent à l’Italie, 4ième économie de la zone euro…
L’imbroglio grec s’est ainsi mué en imbroglio général. Et pour l’heure en dépit des promesses qui avaient été formulées à ce pays, le nouveau plan d’austérité voté ne s’est pas traduit par la mise au point de la part de la Troïka du plan annoncé de refinancement. Rendez-vous est donné à la rentrée de septembre pour ce faire, si d’ici là le feu n’a pas pris, ce qui évidemment ne peut nullement être exclu.
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Plan d’austérité adopté par le Parlement Grec le 29 juin 2011.
Le nouveau plan, intitulé « Cadre à moyen terme de stratégie budgétaire » et intégralement dicté par la Troïka, couvre la période 2012-2015. Il reproduit à l’identique les mesures du premier plan qui a failli.
De surcroît, d’ici à 2015, 28,4 milliards d’euros d’économies supplémentaires sont programmées, pour moitié dues à des hausses d’impôts (15 milliards) et pour moitié à des réductions des dépenses publiques (13,8 milliards). Pour l’année 2011, l’effort supplémentaire est de 6,4 milliards. Parmi les mesures de recettes votées :
- L’abaissement du seuil minimum d’imposition de 12 000 à 8 000 euros par an,
- L’instauration d’un impôt exceptionnel de solidarité sur les revenus supérieurs à 12 000 euros annuels (de 1% à 5% selon leur montant),
- Création d’une taxe professionnelle de 450 euros en moyenne par an pour les professions libérales et les auto-entrepreneurs,
- De nouvelles augmentations de la TVA (notamment dans la restauration, sur les fleurs et les places de théâtre), des taxes sur le fuel de chauffage, sur les signes extérieurs de richesse…
En matière de réduction des dépenses figurent :
- Le durcissement des critères pour les allocations sociales (y compris l’indemnisation du chômage),
- La réduction de certaines retraites complémentaires,
- L’assouplissement du statut des fonctionnaires (possibilité de licenciement pour certaines catégories) et réductions ciblées des salaires de la fonction publique,
- Durcissement du ratio d’un départ sur 5 à la retraite renouvelé à 10,
- Compression des dépenses exceptionnelles de l’Etat, des dépenses opérationnelles de l’armée et des dépenses dans le secteur de la santé.
Les mesures budgétaires sont accompagnées d’un vaste plan de privatisations concernant l’eau, le gaz, l’électricité, les transports, les banques et la poste. Les recettes sont censées rapporter à l’Etat 50 milliards d’euros sur cinq ans, dont le montant doit être affecté à la réduction de la dette.

Pour l’occasion, une agence de privatisation est instituée dans laquelle des représentants de la zone euro et de la Commission européenne auront des postes d’observateurs. Le plus gros des cessions est prévu d’ici à 2013. L’Etat est également tenu de chercher des exploitants privés pour son patrimoine foncier et immobilier. Sources : Presse française.
 

Le calvaire enduré par la Grèce est exemplaire à plus d’un titre. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés.

1. D’abord sont frappantes l’impréparation totale des autorités de l’UE et l’ampleur des défaillances dans la construction institutionnelle de la zone euro.
Au moment de la survenue de la crise, avec les premières attaques spéculatives sur les titres grecs, l’UE est longtemps restée sans réponse. Aggravant par son silence – et pire encore par l’expression de dissensions majeures entre certains des acteurs majeurs qui la constitue – l’ampleur de la crise.

Lorsqu’enfin l’UE s’est saisie du dossier, ce fut pour réaliser que non seulement rien n’était prévu pour contrer des attaques spéculatives contre les titres portant sur une partie de sa monnaie, mais de surcroît que le Traité interdisait toute action concertée (« no bail out » clause). Les pages du Traité à peine séchées, il fallait en convenir et revoir la copie imposée aux peuples d’Europe, y compris à ceux qui, comme en France l’avaient rejeté par référendum. C’est aux défenseurs du Traité qu’il est donc revenu en toute hâte de concevoir ce fameux « plan B », dont durant la campagne référendaire, on nous expliquait qu’il n’y en avait aucun de possible.

Bien sûr on a toujours tort d’avoir raison trop tôt. Mais il ne fallait pas être grand clerc pour pointer les défaillances multiples d’un Traité taillé sur mesure pour les marchés financiers. Il reste que, comme la crise le montre, ce n’est plus seulement d’un plan B que l’Europe a besoin, c’est de A à Z que la conception de la zone euro doit être repensée, si du moins l’on veut assurer sa pérennité.

2. Le plan lui-même : une stratégie du choc ?

Il convient d’abord de rappeler combien l’indigence des principes sous-tendant le plan concocté par la Troïka est consternante. Comme on l’a rappelé, tout est traité comme s’il s’agissait d’un problème de finances publiques. Et qu’il ne s’agissait que de faire saigner la bête, tout en coupant drastiquement dans les dépenses.

Aucune leçon sur ce que livre la crise grecque sur la manière dont la zone euro s’est mise dans la main des marchés, n’a été tirée. Pas plus d’ailleurs que n’ont été tirées les leçons de l’explosion en vol du modèle de la finance globale dérégulée, qui a jeté à bas l’économie mondiale en 2007-2009.

Au-delà, on ne peut qu’être frappé par un paradoxe. Alors que la crise est d’abord et avant tout celle de la finance dérégulée, que les dettes publiques elles-mêmes n’auraient ni connu cette ampleur, ni été attaquées comme elles l’ont été sans la prégnance des marchés financiers, le traitement de la crise, non seulement ne revient sur rien des causes réelles, mais au contraire accroît encore le pouvoir des marchés financiers. Cette fois en mettant les finances publiques sous leur contrôle strict dans le seul but de garantir le paiement des créanciers.

Mais s’agit-il vraiment d’un paradoxe ? Tout se passe en effet comme si les autorités qui nous gouvernent n’avaient rien appris de la crise. Et après avoir annoncé quelques mesures cosmétiques, elles n’avaient d’autre objectif que de reprendre leur course sur le même chemin, comme si rien ne paraissait plus urgent et important que de poursuivre la marche en avant de la finance. La mise sous tutelle des budgets publics que prévoient les dispositions sur le semestre, le Pacte pour l’euro - venant compléter et encadrer des plans de restructuration des budgets et des finances publiques43 - affirme ainsi une claire volonté de poursuivre dans cette voie même qui a conduit au chaos 2007-200944.
 

Last but not least, il est essentiel de rappeler que comme la suite l’a montré, le plan était non seulement injuste et impraticable, mais aussi et surtout qu’il était bâti sur une contradiction essentielle : car cherchant à augmenter le solde budgétaire, il installait la récession et provoquait la chute des recettes fiscales. Comme beaucoup l’avait alors annoncé, il ne pouvait qu’échouer.
Le plus stupéfiant est que le deuxième plan d’aide à la Grèce qui se concocte aujourd’hui poursuit dans cette ligne exacte. Avec en prime, à travers les privatisations et les plans de « réformes structurelles » qui prennent une ampleur inégalée, une forte accélération de la marche forcée vers la libéralisation totale de l’économie imposée au pays. Comme si délibérément on appliquait là une « stratégie du choc ». Profiter de la crise pour imposer des mesures qui sans elle,n’auraient jamais pu être imposées.

Pourtant chacun le sait, le nouveau plan ne pourra au mieux que permettre de gagner du temps. Pour que la Grèce puisse faire face à sa dette (si elle n’est pas restructurée), des estimations effectuées récemment soutiennent qu’il faut qu’elle dégage un excédent budgétaire « primaire » de 6% par an pendant de nombreuses années. Même si ce fardeau est surestimé par ces analyses, il se présente, évidemment, comme totalement hors de portée.

Qu’on le veuille ou non, d’autres solutions que celles appliquées aujourd’hui par la Troïka doivent être imaginées et mises en oeuvre. Dans cette voie alternative de la restructuration de la dette grecque, faire payer aux banques créditrices privées une partie du fardeau, est un moment obligé. Mais cette restructuration elle-même n’a de chance d’aboutir que si l’UE résolument s’écarte de la domination qu’exercent aujourd’hui les marchés financiers. Sur ce point nous ne pouvons ici que réitérer les analyses et les propositions du Manifeste, comme du dernier ouvrage des Economistes Atterrés.

Le moins que l’on puisse dire, est que les évolutions actuelles n’ont pas fait perdre de leur pertinence à ces propositions. Il faudra cependant aller plus loin encore. Car et ce sera notre dernier mot, il faut garder à l’esprit que la descente aux enfers de la Grèce reste fondamentalement liée à son impossibilité d’assumer sa position en Europe avec le niveau actuel de l’euro. Les asymétries de compétitivité ne se sont pas réduites au cours du temps. Avec l’appréciation de l’euro elles se sont au contraire creusées. Si l’on veut conserver l’UE et la zone euro, la mise en place de mécanismes visant à la réduction de ces asymétries est indispensable. D’une manière ou d’une autre, il faudra revenir à des budgets de type « fonds structurels » permettant aux pays les moins dotés de la zone de bénéficier d’aides communautaires pour leur permettre d’entrer dans de nouvelles trajectoires.
Les bricolages actuels ne peuvent permettre que de gagner du temps. Si celui-ci n’est pas mis à profit pour concevoir et implémenter un nouveau départ pour l’Europe, à n’en pas douter, rapidement les mêmes questions qui se posent aujourd’hui au propos de la Grèce resurgiront, ici ou là au sein des pays membres de la zone euro, telles qu’en elles-mêmes…
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43 Que ces plans soient directement imposés par la main visible de la Troïka comme en Irlande, en Grèce ou au Portugal, ou par les mains « invisibles » des marchés comme dans la plupart des autres pays de la zone euro, qui vivent sous la terreur de voir dégrader la note attribuée à leurs dettes souveraines par les agences de notation, dont comme chacun le sait, la clairvoyance et l’intelligence se sont affirmées à plein pendant toute la période qui a précédé la venue de la crise

44 Sur ce point voir « 20 ans d’aveuglement… »

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Post Scriptum. L’accord du 21 Juillet : Un trompe l’oeil qui marque une nouvelle avancée des marchés financiers.

A l’heure de mettre en ligne cette note, l’accord du 21 Juillet sur le refinancement de la dette Grecque est à la une de la presse. De nouveau, et au moins pour la troisième fois (après l’annonce de la création du FESF et celle de MES), on entend les hourra des européistes. Accord historique ! On vous l’avait bien dit : c’est au pied du mur qu’on voit le maçon !! … etc…
De quoi s’agit-il ?
L’annonce du 21 Juillet qui sanctionne le sommet consacré à la Grèce et à la Zone Euro est en effet importante. Il s’agit d’une nouvelle étape de la crise financière et d’un nouvel ensemble de mesures prises par l’UE pour tenter d’y faire face. Trois remarques sont essentielles :

1. Sur un point clé, la BCE a du manger son chapeau. En dépit de ses menaces et déclarations, la dette grecque est restructurée. Et profondément comme on le verra. Il aura donc fallu plusieurs mois et frôler la catastrophe pour que la BCE admette l’évidence. La dette grecque et le régime qui lui a été imposé, sont insoutenables. Imperturbable, en dépit de toutes ses déclarations passées, la BCE déclare cependant à l’issue du sommet que la restructuration annoncée ne déclenchera pas d’évènement de crédit !. Et qu’en tout état de cause, elle se prépare à faire face ! On verra plus bas, que la BCE n’a pas tout perdu dans le nouvel accord, et qu’elle a ses propres motifs de satisfaction.

2. Le contenu de la restructuration est moins clair qu’on ne le prétend. Deux points sont acquis :
- Un nouveau prêt de la Troïka à la Grèce est mis en place. L’aide publique se montera à 109 milliards d’euros. De plus, les taux d’intérêts sont abaissés (autour de 3,5%) et la maturité des dettes anciennes comme futures est allongée. Tous les leviers (ou presque) de la restructuration sont bien là.
- Il y aura bien participation du secteur privé. Une demande insistante de l’Allemagne sur laquelle la Troïka s’est finalement alignée. Mais sur le contenu de cette participation, les choses sont beaucoup moins claires.
Fait hautement significatif, le lobby bancaire, (400 créanciers représentés par Baudoin Prot, PDG de BNP Paribas, Joseph Ackerman, président de la Deutsche Bank, et un représentant de l'Institut de la Finance Internationale), était présent à Bruxelles et a négocié pied à pied la participation des banques. Sur tous les points, celles-ci ont eu gain de cause. D’abord la participation restera « volontaire » (l’idée d’une taxe sur les banques proposée par la France a fait long feu). Ensuite le lobby a obtenu que les créanciers puissent choisir entre plusieurs solutions :
- soit en maintenant leurs engagements mais en reprenant des titres de même maturité,
- soit en refinançant la Grèce avec des titres de maturité plus longue,
- soit enfin en vendant des obligations grecques avec une décote.
L'Institut de la Finance Internationale (le coeur du lobby) a déjà indiqué sa préférence: il entend privilégier pour les créanciers bancaires un échange des titres qui viennent à échéance jusqu'à 2020 contre le rachat de nouvelles obligations à trente ans à condition qu’elles soient garanties par les titres européens les mieux notés. Comme le note Martine Orange « ceci revient à un transfert du risque du secteur privé vers le public. Car c'est l'Europe qui se porte garante en dernier ressort » (Médiapart ; du 22 juillet).
 

3. Enfin dernière annonce, le FESF est appelé à voir ses compétences élargies. Il serait autorisé (tout cela doit être validé par les instances nationales et communautaires de l’UE) :
- à procéder à des prêts et/ou à la recapitalisation de banques,
- à racheter de la dette sur le marché secondaire, venant ici relayer la BCE à qui ce rôle était jusqu’ici réservé. Le FESF constituerait ainsi un canal supplémentaire permettant aux créanciers privés de se défaire de titres de dette publique qu’ils détiennent.
Ce dernier point est essentiel. Il constitue tout à la fois une victoire de la BCE qui ne souhaitait plus jouer ce rôle et une énorme avancée pour les marchés financiers, qui en échange d’une participation « volontaire » trouvent ici un deuxième canal pour transférer vers le public (le FESF) de la dette privée jugée risquée.
Bref si la Grèce, (plus que jamais incitée à appliquer les multiples plans d’austérité qui lui ont été imposés), voit incontestablement son fardeau allégé à travers cette restructuration profonde de sa dette, force est de constater que les dispositions qui se dessinent constituent de nouvelles avancées pour les marchés financiers.
Après s’être assurés le contrôle des budgets publics à travers le FMI et les plans de la Troïka, les voici grâce à un FESF relooké, disposer d’un instrument de défausse de la dette risquée qu’ils détiennent.
Ceci ajouté au fait que les nouveaux bonds à maturité plus longue, ne seront émis (ou échangés contre les bonds existant) que s’ils sont garantis sur des obligations AAA, laisse penser que la contribution « volontaire » du secteur privé a su trouver de bien belles contreparties !
On l’aura compris, en dépit des cris de victoires claironnés de partout, on est loin de solutions soutenables. La forme prise aujourd’hui par l’éclatement de la crise financière en se transformant en crise des dettes publiques est loin d’être résolue. Bien d’autres épisodes douloureux sont devant nous. A suivre… donc.
 

BC, CL, le 22 Juillet.