Quelques remarques méthodologiques pour mieux parler et agir ensemble

(Collectif Pensée critique et engagement, juin 2007)


Ce texte rassemble quelques remarques qui semblent indispensables pour mieux discuter et débattre ensemble au sein d'un collectif (quelque soit sa forme) et également pour mieux agir ensemble dans un projet commun. Dans un but de synthèse et de clarté, ils ont volontairement une forme très (trop ?) normative. Cependant, ce ne sont pas des lois ni des principes rigides mais seulement des conseils. 


S'écouter. 

Apprendre à nous écouter mutuellement et respecter nos positions contradictoires y compris au sein d'un même objectif commun. S'écouter implique de ne pas se couper la parole et d'essayer de chercher à comprendre réellement ce que dit l'autre.

Etre clair.

Apprendre à clarifier notre pensée puis nos propos afin de bien se comprendre et d'être compris. Ne pas hésiter à définir les mots que nous employons, surtout ceux qui sont importants et porteurs de sens.

Adopter une attitude pédagogique. 
Défendre une idée s'inscrit dans un vaste chantier de l'ordre de la pédagogie et de la persuasion positive. Savoir expliquer et défendre son point de vue sans viser à convertir l'autre mais plutôt à le faire réfléchir. 

Se comprendre. 
Prendre en compte la pluralité du sens des mots qui entraîne trop souvent des incompréhensions. Il existe toujours un décalage entre le sens que l'on donne à un mot et la manière dont il est compris par nos différents interlocuteurs. Il y a des réceptions diverses d'un message transmis suivant les sensibilités et expériences de chacun-e. Toujours avoir à l'esprit cette pluralité sémantique et se demander : qu'a voulu dire la personne qui s'adresse à moi ?

Eviter l'enfermement et le dogmatisme. 
Faire attention à ne pas prendre notre position pour la seule vraie et à l'emploi de propos excluant. Mettre en doute l'idée qu'il y aurait, par rapport à une idée ou une prise de conscience, des purs et des impurs (les éclairés et les naïfs par rapport au problème écologique par exemple). Il y a toujours un continuum social. On est tous et toutes potentiellement mauvais et il suffit souvent de peu pour que l'on adopte des attitudes qu'en d'autres circonstances, on jugerait détestables.

Eviter l'étiquetage. 
Faire attention au risque de l'étiquetage. L'affichage (" je suis de telle organisation ") et l'étiquetage (" tu es de celle-là ") donne une vision très réduite de la réalité. Ces attitudes sont souvent de l'ordre de la société du spectacle même si catégoriser peut aussi permettre d'y voir plus clair. Ne pas fétichiser un terme même si nous nous reconnaissons grandement dedans (" je suis attaché-e à telle idée ").

Penser et accepter l'ambivalence et la contradiction. Ne pas cristalliser ses positions. 
Définir de façon trop pointilleuse nos positions risque d'aboutir à une stérilisation de nos identités, un durcissement de nos positionnements, en oubliant que ceux-ci évoluent et qu'à un même instant ils peuvent être contradictoires.

Créer des liens et expliciter les désaccords et dissensus. 
Identifier les ponts et les passerelles qui nous sont nécessaires pour créer un commun tout en mettant en avant les divergences indépassables. Expliciter accords et désaccords. Accepter de désigner les personnes et les projets avec lesquels nous avons un désaccord radical.

Eviter l'interdestruction. 
Faut-il ou non se " foutre sur la gueule " pour clarifier les choses au risque de les envenimer ? Nous sommes en général particulièrement forts pour nous autodétruire et beaucoup moins pour construire des choses ensemble.

Adopter une attitude radicalement critique et humble à la fois. 
Tout concept (ou projet) peut être critiqué, déconstruit radicalement. Cependant accepter de critiquer, c'est aussi accepter l'autocritique et donc une certaine humilité et éviter l'élitisme.

Adopter une pensée complexe. 
Apprendre à penser la complexité qui évite les simplismes. Prendre garde aux dualismes et aux pensées binaires. Par exemple, interroger les relations corps / esprit ou théorie / pratique est intéressant mais peut être réducteur si cette interrogation est trop binaire. 

Adopter une méthode réflexive. 
Comprendre l'importance de la réflexivité et de l'auto-analyse. Celles-ci se pratiquent à la fois seule et en groupe. Cela signifie prendre du recul par rapport à son propre engagement et ses propres conceptions du monde.


Remarques :

Ce texte a été élaboré suite à diverses expériences de discussion et de prise de décisions au sein de collectifs variés. Le ton adopté peut rebuter par son aspect directif et normatif d'un côté et moraliste de l'autre. Directif, car il n'y a pas d'insinuation, ni de douceur mais des principes qui sont énoncées plutôt brutalement. Moraliste, car on nous dit (impose) ce qu'il faut faire et ne pas faire, sous forme d'invectives. De plus, les propos sont dit sérieusement : il n'y a pas d'humour alors que celui-ci permet souvent de faciliter les discussion lorsqu'il est utilisé à bon escient. 

Le but privilégié de ce texte était la clarté, et, même si celle-ci n'est pas incompatible avec un ton plus agréable et moins sérieux et moraliste, le choix de ce style d'énonciation répondait à la contrainte d'être compris par le plus grand nombre. Enfin, ce texte reste assez intellectuel et rationnel et prend peu en compte la dimension affective, émotionnelle, sensible des personnes lors de discussions et de prises de décisions en commun. Cette seconde dimension est pourtant indispensable et donc à prendre en compte. Néanmoins, il semble que ces quelques conseils pourraient favoriser de meilleures manières de se parler, de prendre des décisions et d'agir ensemble.